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manège, est celui qui se connaît le mieux. Je réponds qu'au contraire il se
trompe sur lui-même. Une passion n'est qu'une erreur continuée sur soi-même,
sur ce que l'on sait, sur ce que l'on croit, sur ce que l'on espère, sur ce que l'on
peut. Tolstoï est un des auteurs qui savent nous apprendre ce que c'est que se
retrouver soi-même. C'est en se mettant à l'Suvre qu'on découvre ce qu'on
veut, ce qu'on aime, ce qu'on sait, et en un mot ce qu'on est. Il n'y a point
d'autre moyen. Il n'y a point d'autre moyen de juger les autres. Par exemple on
dit souvent qu'il faut connaître l'enfant si l'on veut l'instruire ; mais je dis, au
contraire, qu'il faut instruire l'enfant si l'on veut le connaître. Et quant à cette
sotte ignorance, encore déformée par la timidité, quant à cet état misérable où
l'on se trouve quand on rêve au lieu d'essayer, je n'ai qu'à le faire cesser ; cela
n'est rien ; cela sera profondément oublié. Nous essayons de porter un regard
investigateur sur les aptitudes nues ; de toutes les pensées c'est la plus vaine.
Apprends la géométrie, et je te dirai alors si tu es géomètre. Une des fautes les
plus communes est de chercher ce qui plaît à l'enfant. Après dix ans d'étude je
saurai ce qui lui plaît et il saura ce qui lui plaît. Par le travail il se sera révélé à
lui-même. Et dans le fond je crois que tout travail suivi fait paraître une
aptitude. Mais c'est ce qu'on ne croit point. On espère se connaître avant le
premier essai. D'où l'on voit de pauvres gens qui vont de métier en métier et
Alain (Émile Chartier) (1916), Éléments de philosophie 257
ne se trouvent doués pour aucun. Il est rare qu'on ne se trouve point doué pour
le métier qu'on fait ; en tout cas on n'est vraiment doué que pour le métier
qu'on fait. Espérer et croire avant la preuve ; d'espérer et de croire faire preu-
ve ; enfin de soi et des autres, par méthode, penser toujours courage et
puissance, voilà le ressort humain. La connaissance de l'homme va donc du
plus haut au plus bas.
Ainsi la foi est une idée positive ; et la foi n'est autre chose que l'optimis-
me ; entendons bien l'optimisme voulu, et non l'optimisme de hasard. Les
hommes simples, et qui vivent selon l'imagination, nous donnent ici une leçon
qu'il faut comprendre. Sous mille formes, et sous le nom de religion, nous
voyons que le courage se donne un objet et des preuves. Mais, que ce soit vie
future, avenir de l'espèce, règne de la raison et de la justice, l'objet n'est jamais
qu'imaginaire, et c'est le courage qui porte tout. Ou bien, pour employer
d'autres mots, disons que la volonté est telle, par sa notion même, que c'est
elle-même qui se prouve. Il faut croire en soi ; sans ce premier départ, tout
gratuit, il n'y aurait point d'entreprise au monde ; cela, tous les praticiens le
savent. Mais, en regardant de plus près, on découvre que, sans le parti d'oser
au delà des preuves et même contre les preuves, il n'y aurait ni pensée, ni
opinion, ni même rêverie ; en sorte que c'est le tissu même de la psychologie
qui se défait tout, si l'on ne prend point comme réalité première et positive un
pouvoir qui ne dépend que de son propre décret. Quand on accumule, comme
on aime à le faire, les difficultés que soulève ce postulat, on a le tort d'oublier
d'autres difficultés non moins inextricables, qui se présentent et nous pressent
si nous essayons de nier le pouvoir sans mesure. Et, en posant que théori-
quement tout est égal, il reste l'urgence de vouloir qui se propose à tout
homme dès qu'il veut aider les autres ou s'aider lui-même. Tous les biens,
toutes les règles, toutes les formules, tout cela est comme mort devant
l'homme qui ne croit plus en lui-même. Ainsi le premier conseil, et sans doute
le seul, est d'éveiller en un homme abattu et dominé ce départ du vouloir.
Telle est la source du bien.
Mais comment éveiller un homme à lui-même si on ne croit point en lui ?
Et comment croire en lui si l'on ne croit pas d'abord en soi ? Et j'insiste sur
ceci, que cette foi en la volonté est elle-même volontaire. Il serait absurde de
chercher en soi-même la volonté sans la volonté de la trouver. Et puisqu'en
tous ces drames il faut donner d'abord, Descartes a très bien nommé géné-
rosité ce mouvement du libre arbitre, réduit à lui-même et s'appuyant sur soi.
J'ai observé, en quelques éducateurs et redresseurs, cette certitude de puissan-
ce, ce geste de départ et de création qui recommence à neuf. L'âme n'est
jamais à découvrir, ni à décrire ; elle est toute à faire et à refaire. Certes on
n'est pas ce qu'on veut, mais on n'est quoi que ce soit que si d'abord où veut.
L'écart entre l'ambition et le fait sera toujours assez grand ; sans trouver
moins, souvent nous trouvons autre chose ; cette déformation est la part des
choses ; et nous le saurons assez tôt. La maladie de prévoir est trop honorée.
On voit que, sous cet angle, l'écart entre la théorie et la pratique se trouve
aboli. Bien mieux, il faut l'abolir, ou, en d'autres termes, il n'y a que le plus
parfait modèle qui soit pratique. Telle est l'âme des religions.
Je rendrai plus sensibles ces considérations par l'exemple du remords et du
repentir. De l'un à l'autre, il n'y a de différence que la foi, c'est-à-dire la
certitude d'une action neuve, immédiatement possible, et tout à fait lavée de la
Alain (Émile Chartier) (1916), Éléments de philosophie 258
faute. Le remords est un état plus commun qu'on ne croit ; c'est l'idée qu'on
n'y pouvait rien et qu'on n'y pourra rien, qu'on est ainsi, que l'on tombera
toujours au même passage. Or cette idée paraîtrait ridicule au danseur de
corde, au violoniste, à l'orateur. Cette idée, il ne cesse de la nier. S'il connaît
quelquefois le désespoir, il s'en échappe, il s'en arrache par le travail. Or,
comme disaient les Stoïciens, il n'y a pas de petites fautes. Toutes nos fautes
sont pardonnées et oubliées, si nous nous relançons à vouloir ; toutes sont
irréparables par l'idée même de l'irréparable. À vrai dire le damné est celui qui
ne veut point croire qu'il sera pardonné. Ainsi, strictement parlant, l'homme
désespéré se connaît mal, et, pour mieux dire, ne se connaît point ; car ce
genre de méditation défait en descendant, ce que les gestes du désespoir
expriment très bien.
Alain (Émile Chartier) (1916), Éléments de philosophie 259
Livre 6 : Des vertus
Chapitre XII
L art de se gouverner soi-même
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On comprend peut-être maintenant pourquoi j'avais tant de soin de laisser
le physiologique à son rang et dans sa forme de chose, sans le traduire jamais
en pensée. Supposer une pensée dans la pierre, dans le vent, dans la vague,
c'est l erreur très ancienne, et qui soumet toute entreprise au présage. C'est la
même erreur, et encore plus funeste, si nous supposons une pensée à chaque
mouvement des autres et à chaque mouvement de nous. Voici un homme qui
fronce le sourcil par l'effet d'un rayon importun. Vais-je penser qu'il me
menace ? Et ce politique, impatient d'être trop longtemps debout vais-je le
supposer ennemi et offensé ? Ces commencements de pensées changent par
des remèdes très simples ; tirez un rideau ; offrez un siège. Presque tous les
drame des passions viennent de ce qu'on essaie trop tôt le remède supérieur.
Comme aux enfants, il est ridicule d'argumenter quand il suffirait de masser,
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